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Tard cette nuit-là, Caitlin Dillon sirotait un soda faible en calories, face à un écran de télévision géant juste à l’extérieur de la salle où siégeait la cellule de crise.
Les antennes des plus grandes chaînes nationales étant situées sur le toit du World Trade Center, l’image du récepteur était parfaitement nette.
— Ça y est, chuchota-t-elle à Carroll. La Bourse de Hong-Kong sera la première des Bourses importantes à ouvrir dans le monde. Celles de Sydney et Tokyo restent toutes les deux fermées jusqu’à midi. Hier, l’indice Hang Seng a perdu 80 points. Ça va être décisif…
Caitlin et Carroll étaient assis au milieu d’un groupe compact de banquiers de Wall Street – des hommes et des femmes harassés, qui ressemblaient aux spectateurs d’un improbable événement sportif se déroulant sur plusieurs jours. Une émission de télévision en circuit fermé était retransmise par satellite, de l’Asie à New York.
Sur l’écran, on voyait des cameramen et des journalistes couvrir l’événement en direct derrière des cordons de policiers hongkongais.
Puis, dans une rue pleine de monde, des dizaines de milliers d’habitants de Hong-Kong scandant des chants à tue-tête et brandissant des pancartes affichant des revendications politiques. Ensuite apparurent des agents de change en costume sombre, commençant à franchir solennellement le seuil de la Bourse.
— On dirait un cortège funèbre, souffla Carroll à Caitlin.
— Pas très folichon, hein ? C’est vrai que ça ressemble à des funérailles nationales…
Le correspondant d’une chaîne de télévision américaine s’approcha d’une caméra postée dans la rue bondée. Il portait un costume en coton gaufré froissé et s’exprimait avec un accent britannique heurté.
— Nous n’avons jamais vu dans le passé une démonstration aussi imagée de la polarisation entre les espoirs du tiers-monde et les rêves de l’Occident. Ici à Hong-Kong, nous sommes, à mon sens, témoins d’une représentation à petite échelle de ce qui va se jouer dans un avenir proche partout dans le monde. Nous sommes au lendemain de l’effondrement des cours sur tous les marchés internationaux… Le marché obligataire est ravagé ; les Français et les Arabes liquident leurs portefeuilles au rythme de plusieurs milliards par jour… Et ce matin, à Hong-Kong, beaucoup de gens sont inquiets, abattus… Mais la majorité, une quantité de gens contre toute attente considérable – pour la plupart des étudiants et des jeunes, ainsi que des chômeurs –, scandent des slogans anti-américains et appellent même de leurs vœux un krach boursier dévastateur… Les gens acclament la perspective d’un effondrement économique mondial généralisé. Ils escomptent le pire et se réjouissent de cette issue désastreuse… La chute longtemps attendue de l’Occident.